Histoires Vraies
des Petites Îles de Méditerranée
Le projet
Les petites îles vivent à l’ombre des grandes îles de Méditerranée, comme la Corse ou la Sicile. Elles sont souvent négligées dans les grands récits historiques. Pourtant, plus d’un millier de terres émergées de moins de 1 000 hectares ont été recensées dans son seul bassin occidental. Au cœur de la Méditerranée, les populations insulaires continuent, comme par le passé, de jouer un rôle central dans la connaissance et la compréhension de cet espace connecté.
Dans la lignée des projets portés par l’ONG Initiative pour les petites îles de Méditerranée (PIM) adossée au Conservatoire du littoral, et en partenariat avec le réseau Petites îles de Méditerranée. Histoire et patrimoine de l’École française de Rome (EFR), l’association Histoire Vraies de Méditerranée a recueilli une série d’histoires à Ischia, dans le golfe de Naples, au printemps 2023 pour explorer ces figures de l’insularité.
Grâce au travail de collecte, de traduction et d’édition de Marine Vlahovic, voici les histoires des habitants de l’île d’Ischia.
Diversité et singularité des petites îles
Entre coupure et ouverture, elles ont nourri bien des imaginaires ; leurs populations ont aussi mo-delé des paysages, produit des cultures et élaboré des styles de vie qui composent autant de pa-trimoines singuliers d’une immense richesse humaine et naturelle. La collecte, la reconstitution et la restitution d’histoires vraies dévoile la diversité de ces imaginaires, de ces récits et de ces mé-moires afin de faire connaître et de préserver ces patrimoines singuliers.
Marine Vlahovic en a proposé une première restitution les 3 et 4 juin 2023, lors des 10 ans du Mucem.

Terrains de collecte
Un projet de Marine Vlahovic
Marine Vlahovic nous a quittés le 25 novembre 2024, nous laissant bien désemparés, tant sa joyeuse énergie, son rire communicatif et son enthousiasme, qui semblaient indéfectibles, ne laissaient pas présager son terrible départ.
Marine avait proposé plusieurs projets à notre association et les avait réalisés avec l’investissement et le professionnalisme que nous lui connaissons.
Dans le cadre d’un récent partenariat entre Histoires vraies de Méditerranée (HVM) et l’École française de Rome, elle avait conçu un projet sur les petites îles de Méditerranée, en collaboration avec Brigitte Marin, et réalisé une première enquête sur Ischia en mai 2023. Sillonnant l’île sur un scooter de location, elle avait collecté maintes histoires qu’elle avait présentées, au nom d’HVM, en juin 2023 lors des 10 ans du Mucem.
Et puis, après le 7 octobre, et dès les premiers bombardements sur Gaza, Marine était partie au Caire pour se rapprocher des Gazaouis. Elle avait vécu dans les Territoires palestiniens entre 2016 et 2019, lorsqu’elle y était correspondante pour RFI. Elle a alors produit pour ArteRadio un formidable podcast, primé, Carnets de correspondante, témoignant du lien indéfectible qu’elle avait tissé avec les habitants.
Au Caire, en journaliste engagée, elle se démenait pour transmettre l’information. Avec sa grande humanité, elle collectait des produits de première nécessité qu’elle faisait acheminer aux Gazaouis sous les bombes.
Concernée également par les enjeux de société, dans un partenariat qu’elle avait mis en place entre HVM et l’Institut français d’Égypte, elle avait eu l’idée de recueillir, à Alexandrie et au Caire, des Histoires spontanées, enquêtant sur les pratiques des réseaux sociaux par les jeunes égyptiens.
Passionnée et solaire, elle communiquait avec les gens dans différentes langues de Méditerranée, principalement en italien et en arabe égyptien. Par la généreuse énergie qu’elle dégageait, Marine rassemblait, à Marseille, son port d’attache, ville au visage métissé, et ailleurs dans le monde, des personnalités de tous horizons.
Marine a transmis à notre association son talent créatif, ainsi que le sens de l’action collective et du partage. Elle nous manquera terriblement. Notre association pense à sa famille et à ses proches, et s’associe à leur chagrin.
(𝘗𝘩𝘰𝘵𝘰 𝘑𝘢𝘤𝘬 𝘚𝘰𝘶𝘷𝘢𝘯𝘵)

Toutes les Histoires vraies
des petites îles de Méditerranée
I. La mer nourricière
Il mare non è lavoro, è tesoro (Domenico) [La mer ce n’est pas du travail, c’est un trésor]
L’agriculture et la pêche ont été pendant des siècles, jusqu’aux transformations territoriales et aux changements sociaux causés par le développement du tourisme et des activités balnéaires à partir du milieu du XXe siècle, aux fondements de l’économie locale insulaire. Largement tournée vers l’agriculture, compte tenu de la fertilité de ses terres volcaniques, Ischia n’en vante pas moins une solide tradition dans les métiers de la pêche. L’activité halieutique s’est développée à la faveur des privilèges aragonais qui, au XVe siècle, concédèrent aux communautés locales tous les droits d’exploitation du littoral et des ressources de la mer sur une distance d’un mille et demi autour de l’île. Sa bonne situation pour la pêche au thon y favorisa l’implantation de tonnare (madragues), notamment au milieu du XVIIIe siècle, en face de la plage de San Pietro (à Ischia) et à Lacco Ameno. La première resta en fonction jusqu’en 1862, la seconde jusqu’aux années 1950. Dans ces localités, mais aussi à Forio et à Sant’Angelo, la pêche artisanale, avec ses savoir-faire, ses risques et ses solidarités, a forgé une culture et des valeurs transmises au fil des générations.
ISCHIA / L’île au trésor
📃 Domenico, 40 ans, Lacco Ameno « Un matin, je prends la route de Sant’Angelo pour ramasser les déchets sur la plage. Je suis un écolo, je fais attention à ne pas consommer de plastique et je profite toujours de ces opérations nettoyage pour récupérer des objets rapportés par la mer. Je trouve d’abord des bouées, quelques menus objets à recycler. Puis je décide de pousser un peu plus loin. À l’endroit précis où une plateforme qui était là depuis des années vient d’être démontée… »
II. La terre : promesses et menaces
Ogni famiglia d’Ischia ha un legame con il vino (Luigi) [Chaque famille d’Ischia a un lien avec le vin]
Avec une superficie de 4 700 ha et des sols volcaniques fertiles, Ischia est une île où, aux siècles derniers, le travail de la terre occupait une grande partie des habitants. L’agriculture y tient encore une place importante car, sur cette tradition, se sont constituées de modernes entreprises vinicoles qui ont su tirer le meilleur parti des anciens cépages insulaires et acquérir une réputation internationale. Source d’abondance, la terre est aussi un facteur de risques majeurs. Si la dernière éruption du mont Epomeo (787 m.) remonte à l’an 1301, la terre n’a jamais cessé de trembler. Le terrible séisme du 28 juillet 1883 détruisit Casamicciola ; plus de 2 000 personnes en périrent. Le dernier épisode qui fit des victimes remonte au mois d’août 2017. La localité de Casamicciola, au nord de l’île, a été dévastée une nouvelle fois lors du glissement de terrain du 26 novembre 2022, entraînant une prise de conscience des dégradations environnementales entraînées par une urbanisation incontrôlée du territoire.
ISCHIA / Le petit marquis
🎧📃 Stanislao dit Silucio, 85 ans, Lacco Ameno « C’est une histoire vraie qui date de l’époque où mon grand-père était jeune. Il s’appelait Nunzio Matera dit “U Marchesin’”, le Marchesino, c’est à dire le petit marquis. Il a hérité de ce titre car il était le contremaître des ouvriers agricoles. Je ne sais pas qui lui a attribué ce surnom. Peut-être que c’est son patron, Don Pietro, qui lui a donné… »
ISCHIA / La mule du jeune marié
📃 Teresa Lacco Ameno 38 ans « C’est un après-midi ensoleillé du mois de mai, ma belle-mère est en voiture avec son mari. Sur la route, elle voit alors un moineau, un nouveau-né qui est tombé du nid. Elle sort du fourgon, et elle le ramasse. »
ISCHIA / L’oiseau
📃 Teresa Lacco Ameno 38 ans « C’est un après-midi ensoleillé du mois de mai, ma belle-mère est en voiture avec son mari. Sur la route, elle voit alors un moineau, un nouveau-né qui est tombé du nid. Elle sort du fourgon, et elle le ramasse. »
ISCHIA / Un avion sur la montagne
🎧📃 Renato, 70 ans, Serra Fontana « C’est une histoire qui se déroule au lendemain de la seconde guerre mondiale. Un avion survole Ischia à basse altitude. Il n’y a pas de radar et beaucoup de brume. Les nuages sont très bas. On ne voit rien. L’avion s’approche du Mont Epomeo à Serra Fontana. Son aile heurte une aiguille. »
ISCHIA / Les terrasses
🎧📃 Andrea, Serra Fontana, 66 ans « Nous sommes à 600 mètres d’altitude, dans le vignoble Frassinelli, où je produis ce vin, qui figure parmi les vins D’Ambra les plus primés Il s’agit d’un paysage particulier qui se caractérise par une pierre de couleur verte. Il s’agit du tuf vert… »
III. Thermes et tourisme, des ressources pour une vie meilleure
Il lavoro era negli alberghi (Lina) [Le travail était dans les hôtels]
Les eaux thermales d’Ischia et leurs vertus curatives étaient déjà bien connues sous l’Antiquité. À partir de la Renaissance, ces richesses thermales suscitent un nouvel intérêt comme en témoigne l’ouvrage du médecin Giulio Iasolino qui décrivit en détail les Rimedi naturali (1588) que procuraient ces « eaux merveilleuses ». De nombreuses structures s’implantèrent aux siècles suivants dans les localités de Barano, Casamicciola, Forio, Ischia, Lacco Ameno et Sant’Angelo, pour l’exploiter cette ressource exceptionnelle. Les années 1950 marquèrent un tournant, lorsque l’éditeur et producteur de cinéma milanais Angelo Rizzoli, secondé par le médecin Piero Malcovatti, investit à Lacco Ameno dans le secteur thermal et touristique, propulsant cette localité d’agriculteurs et de pêcheurs vers de nouveaux horizons économiques et une notoriété internationale. À partir des années 1970, on observe un transfert massif de l’emploi vers les activités commerciales et touristiques. Les flux de visiteurs s’intensifient jusqu’à atteindre six millions par an ces dernières années, et à poser la question critique de leur gestion pour une meilleure préservation des valeurs environnementales.
ISCHIA / Michele le sauveteur
📃 Lucia, Lacco Ameno, 45 ans « Michele, mon mari, est chauffeur pour l’hôtel La Reine Isabelle. Il accueille les clients au port d’Ischia pour les conduire à Lacco Ameno. Un soir, la vedette rapide en provenance de Naples s’approche du quai. La mer est un peu agitée. Une petite fille qui se trouve sur la passerelle perd l’équilibre. Elle tombe à l’eau. «
ISCHIA / La reine Isabelle
📃 Luca, Lacco Ameno, 56 ans « C’est une histoire qui m’est arrivée à Lacco Ameno dans les années 1990. Deux couples de touristes espagnols arrivent en voilier sur l’île, ils mouillent au large de Lacco Ameno, ils débarque sur la plage et ils longent l’hôtel de la Reine Isabelle avant d’atterrir dans mon bar pour un apéritif. Je les sers. Ils me demandent pourquoi l’hôtel porte le nom de la reine Isabelle. Je leur raconte alors ce qui se dit ici… »
IV. L‘île fait son cinéma
Les paysages d’Ischia ont fait le tour du monde sur le grand écran. Dès avant le développement du tourisme de masse, l‘île attire, à partir des années Trente, acteurs, metteurs en scène et producteurs de cinéma nationaux et internationaux. Avec une trentaine de films tournés sur les lieux, Ischia occupe une place singulière dans la production et la culture cinématographiques. L’élan est donné par Il corsaro nero (1936) d’Amleto Palermi, où ses rivages prennent les apparences de ceux d’une île exotique comme dans The Crimson Pirate (1952) de Robert Siodmak avec Burt Lancaster. De Vacanze a Ischia (1957) de Vittorio De Sica à Avanti ! de Billy Wilder (1972), en passant par Plein soleil (1962) de René Clément, la lumière d’Ischia ne cesse de séduire les professionnels du monde du cinéma comme les publics. Luchino Visconti choisit la Villa della Colombaia, à Forio, pour demeure. Des associations locales œuvrent pour la promotion de la culture cinématographique et l’île continue d’accueillir diverses initiatives de formation, des colloques et des manifestations dans ce domaine. En témoigne, par exemple, l’Ischia Film Festival qui s’attache plus particulièrement aux lieux de tournage dans la production des films. Un rendez-vous estival annuel, au Château aragonais, dont le succès, depuis une vingtaine d’années, ne faiblit pas.
ISCHIA / L’ami de la famille
📃 Andrea, Ponza, 66 ans « Ma tante Yolanda ne s’est jamais mariée. Elle n’a jamais cuisiné. Elle savait à peine cuire un oeuf. Mais elle savait boire et elle était très sociable et rieuse. Elle avait en permanence un sourire accroché aux lèvres. On la surnommait “Coca-cola” parce qu’elle était pétillante comme une boisson gazeuse et qu’elle allait par monts et par vaux. «
V. Dévotions
« La palamite, c’est le poisson de Santa Restituta »
Ermitages, sanctuaires, monastères sont une composante essentielle des paysages insulaires. La vie sociale y est aussi rythmée par les fêtes religieuses, en particulier celles des saints protecteurs locaux. À Ischia, Santa Restituta, sainte patronne de Lacco Ameno, est vénérée dans tout le diocèse d’Ischia. Martyre africaine, échouée dans la baie de San Montano, elle est chantée par Lamartine, en 1842, comme cette « vierge inconnue » venue « demander une tombe aux pauvres matelots ». La nuit du 16 mai 1968, Don Petro Monti, alors recteur du sanctuaire, mit pour la première fois en scène, avec le concours des habitants, une représentation sacrée de la passion de cette sainte recueillie et honorée par les premiers chrétiens de l’île. La communauté locale participe toujours aujourd’hui avec la même ferveur à cette représentation vivante lors de la fête patronale.
ISCHIA / Les faux prêtres
📃 Domenico et Nando, Lacco Ameno « Nous voulons raconter des histoires de faux-prêtres qui ont exercé sur l’île, comme si c’est une spécialité. D’abord il y a eu ce petit malfrat à Forío . Il entre dans l’église de Saint Sébastien et s’approche de la statuette de la Madonne de Fatima. Il jette des regards pour s’assurer qu’on le remarque pas… »
ISCHIA / L’habit du moine
📃 Luigi, Forío, 37 ans « Je suis le petit-fils d’un homme du siècle dernier qui a une histoire particulière. Je m’appelle Luigi comme mon grand-père qui était ermite sur le mont Epomeo. Il avait à peine vingt ans lorsqu’il s’est installé dans une petite église dans la montagne. En 1936, il est devenu moine, il vivait de la quête et des offrandes qu’on lui faisait. «